"Les Femmes au balcon" est la comédie la plus salvatrice de l'année (2025)

La vengeance est un plat qui se mange froid. Et entre femmes, à en croire le dernier film de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon. Après une parenthèse hollywoodienne partagée avec une Cate Blanchett sidérante dans Tár, et un César de la meilleure actrice dans un second rôle pour cette partition intense en 2023, l’actrice et réalisatrice française revient sur les plateaux de cinéma — qu’elle n’a jamais vraiment quittés — avec un projet dantesque, mais exagérément attrayant : écrire une comédie d’horreur féministe. Tout commence après un départ précipité de chez elle, il y a quatre ans. Noémie cherche alors à fuir une situation dans laquelle elle ne se sent pas épanouie et file se réfugier chez ses amies, dont Sanda Codreanu, qui joue Nicole dans le film. “Elle vit avec ses sœurs qui sont aussi de très bonnes amies, explique-t-elle dans un communiqué de presse. J’ai vécu dans cette sorte de gynécée pendant plusieurs mois, c’était une autre dynamique de vie. Je n’avais jamais vécu seule et jamais avec des femmes, et là ça m’a fait un bien fou. Il y avait énormément de discussions entre nous, sur nos rêves, nos traumatismes, nos désirs, et puis sur l’oppression patriarcale… Un mec habitait en face – rien à voir avec le voisin dans le film – , on le voyait nous regarder, il était curieux de notre liberté, de la nudité qu’on s’accordait entre nous, qui n’était pas une nudité de séduction, mais plutôt celle de la confiance retrouvée, des corps qui se relâchent.”

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La revanche des femmes au balcon

À partir de cette réalité, Noémie Merlant compose une fable délicieuse, qui n’hésite pas à goûter au burlesque comme au gore. “Un délire absurde extrêmement jubilatoire”, annonçait-elle lors d'une interview accordée à Vogue France l'an passé.Cette entreprise folle de s'essayer à de nouveaux genres, et de les mélanger entre eux, ne vient pas complètement de nul part. La cinéaste aime provoquer — des émotions, des sensations, des questionnements. Lorsqu'elle confie avoir découvert le cinéma à travers les films d'horreur asiatiques que sa sœur et elle regardaient durant leur adolescence, on ne peut s'empêcher d'esquisser un léger sourire. C'est de là que vient, aussi, son mystère. Cette flamme innommable que l'on retrouve à chacune de ses apparitions à l'écran. Une fougue qu'elle embrasse à nouveau dans Les Femmes au balcon, où elle interprète l'une des trois protagonistes aux côtés de Sandra Caudreanu (aperçue dans Mi iubita mon amour, le premier long métrage de Noémie Merlant) et l'étoile montante Souheila Yacoub.

Ensemble, elles incarnent les trois colocataires d’un joyeux appartement situé en plein Marseille. À la radio, une voix annonce l’arrivée d’une vague de chaleur sur toute la France avec des températures pouvant aller jusqu’à 46°C. Dans la rue, des enfants jouent avec des pistolets à eau tandis que leurs parents s’accordent le temps d’un bain de soleil. Nos protagonistes vaquent à leurs occupations : Nicole tente d’avancer sur l’écriture de son roman, Ruby embrasse une dernière fois ses amant·es sur le pas de la porte et Élise les rejoint suite à un tournage ayant mal tourné. Elles font à manger, caressent leur chien (un dénommé Brad Pitt) et se taquinent comme pour s’apaiser. “J’ai remarqué qu’on peut vraiment être nous-mêmes qu’entre nous”, remarque Élise, au cours du dîner. Dans très peu de temps, elles feront pourtant la rencontre d’un nouveau voisin. Un Lucas Bravo fardé de crayon noir, qui se plait à faire des allers-retours à moitié nu sous leurs yeux. Objet de leurs fantasmes, les trois amies se décident à lui envoyer un message, signé “Les Femmes au balcon”. Flatté, il les invite à passer boire un verre chez lui. Ni une, ni deux, le trio s’apprête au moyen de cuissardes pailletées, de motifs léopards et de tissus satinés. Une fois sur place, elles apprennent que leur hôte est photographe. Ce dernier ne tente pas vraiment de le dissimuler puisque de gigantesques tirages parent les murs de son appartement. “J’essaie de choper le vrai chez la femme”, argument-il à propos de ses sujets, exclusivement féminins et décidément toujours très dénudés. Un premier rire nous échappe (ce ne sera pas le dernier).

Un female gaze salvateur

À la façon d’Emerald Fennell dans Promising Young Woman, Noémie Merlant use de l’humour et de l’absurde à outrance pour faire le récit d’une réalité plus grave : celle des violences sexistes et sexuelles. Dès le départ, elle nous met face à la violence masculine à travers la figure de Denise, une femme sous l’emprise de son partenaire. Étendue sur le sol de sa terrasse, le visage violacé, elle n’a pas le temps de se remettre des coups que l’abjecte personnage lui servant de mari réclame qu’elle lui fasse à manger. Heureusement, Denise n’aura pas à se mettre au fourneaux. Cette fois, elle troque sa cuillère en bois pour une pelle de jardinage, un outil suffisamment tranchant pour mettre fin à des années d’humiliation et de maltraitance. La ténacité du patriarcat, on la retrouve quelques minutes plus tard lorsque l’agent d’Élise lui conseille de perdre rapidement du poids, sans quoi elle ne peut espérer décrocher un prochain rôle. Par ailleurs, ce n’est certainement pas un hasard si l'actrice débarque dans le film péruquée à la Marylin Monroe. Toujours dans un communiqué de presse, Noémie Merlant déclare :“Dans mes rêves je vois Marylin retrouver ses copines, dans un cocon où elle peut se sauver, être en vie et petit à petit se libérer de cette figure absolue qui l’empêche d’être elle-même. […] Marilyn existe seulement par le désir masculin, elle a été façonnée par lui et pour lui. C’était donc amusant et exutoire de jouer avec cette figure-là.”

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Contrairement à la réalisatrice britannique, Noémie Merlant ne détourne pas sa caméra de la violence. Elle filme au contraire un rape and revenge movie des plus sanglants. Le corps masculin y est mutilé jusqu’au ridicule. Car oui, c’est avant tout une face que la Française nous sert ici. Horrifique, certes, mais bel et bien destinée à faire rire son public. Avec ce même sarcasme divin, elle s’en prend également aux hommes cinéastes, ceux qui, derrière leur caméra, s’octroient le droit d’agresser des femmes qui ne cherchent qu’à exercer leur métier. Les scènes de nudité, bien que nombreuses, ne sont jamais gratuites. La majorité des films de vengeance sont réalisés par des hommes voulant montrer des scènes de viol interminables, particulièrement brutales et érotisées. Des séquences sensationnalisantes où le corps de la femme est vainement exhibé. Mais qui veut véritablement regarder cela ? Ici, le viol de Ruby n’a volontairement pas été filmé. Le viol conjugal subi par Élise, en revanche, l’est. Un choix pertinent tant ce crime reste si peu montré et compris. Ce que l’on préfère surtout, c’est la façon dont Noémie Merlant capture la nudité féminine là où l’on a trop peu l’habitude de la voir au cinéma : dans le quotidien et l’affirmation de soi. Ainsi, les scènes les plus érotiques ne sont pas celles que l’on croit. La sensualité naît de mains qui se plongent dans la terre fraiche d’un pot de fleur, un jour de canicule, de doigts qui s’enlacent avec tendresse ou des compliments qu’osent s’échanger des amies.

Derrière ce tableau précieux de la vie des femmes, on devine le regard bienveillant de celles qui le dessinent. Noémie Merlant s’est liée à l’écriture de Céline Sciamma, sa bonne fée depuis qu'elle l’a révélée au grand public dans Portrait de la jeune fille en feu, en compétition à Cannes en 2019. Le film avait notamment remporté le prix du scénario ainsi que la Queer Palm. Comme une figure rassurante, Céline Sciamma joue également les productrices exécutives du film. “[…] elle connaît très bien mon univers, comprend ma personnalité et aussi ma manière d’écrire, assez foisonnante et déstructurée. […] Sans me déposséder de rien, elle m’a permis d’affirmer mes décisions, de les conforter. Elle m’a aussi aidée à renforcer la structure pour permettre au film d’être plus libre, d’enrichir les personnages, leurs trajectoires et de développer je crois une certaine poésie sororale.” Cette poésie féministe résonne d'autant plus fort dans l'ultime scène des Femmes au balcon : Ruby, Nicole et Élise se tiennent la main, elles sont dehors et le temps semble bon pour la première fois depuis longtemps. Enfin, elles respirent. Elles ont marché longtemps ainsi, la poitrine à l'air libre, comme pour manifester l'espoir nouveau qui les envahit : celui de s'imaginer libres.

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Les Femmes au balcon, un film de Noémie Merlant à voir prochainement au cinéma.

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